Alors qu’une certaine diversité est bien présente dans les programmes stars de NRJ12, W9 et TFX, difficile de se rappeler d’une candidate noire ayant marqué les téléspectateurs. Après presque vingt ans de télé-réalité d’enfermement et de dating en France, comment expliquer le nombre très réduit de femmes noires au casting de ces émissions ?
“Je n’ai pas envoyé de candidature, ce sont eux qui m’ont repérée sur Facebook. C’est allé très vite, en moins d’un mois j’ai été castée pour Secret Story” nous confie Virginie Philippot. Contactée par un chasseur de tête de l’émission de TF1 en 2012, la Belge fait partie de cette foule de candidats recrutés par les équipes du programme. Seule une minorité ose envoyer leur candidature spontanément. Virginie est l’une des rares participantes noires – avec Marie-France Gomis en 2008 et Jessica Da Silva en 2014 entres autres – à avoir vécu dans la maison des secrets. Un manque de représentation étonnant puisqu’une certaine diversité est bien visible dans ces reality shows. Français, belges, suisses, québécois, avec des origines plurielles, du Maghreb au Portugal, les candidats semblent cosmopolites sur le papier.
L’homme noir, lui, est représenté dans Secret Story dès le début, allant de l’éphèbe musclé et briseur de coeur à l’homme plus efféminé passionné par le cheerleading. Du côté de la production, les casteurs semblent donc plus qu’ouverts aux profils issus de la diversité. Pour preuve, ils ont absolument voulu de “Ginie” Philippot à l’écran dans Hollywood Girls sur NRJ12 puis Les Princes de l’Amour sur W9 après sa première expérience.
En outre, ceux qui entourent les candidats ne semblent pas être dans un entre-soi blanc qui oublierait inconsciemment de caster des personnes qui ne leur ressemblent pas. Comme nous l’assure l’ex-candidate devenue influenceuse : “Il y a de la diversité dans les équipes. En tout cas pour Secret Story, celle qui s’est occupée de nous de A à Z et des candidats de toutes les générations c’est une black.” Rien ne semble donc justifier le fait que la femme noire ne soit reléguée qu’à une poignée de candidates en dix ans.
Objet télévisuel ordinaire difficile à commercialiser
Ces programmes d’enfermement mettent en avant des personnes ordinaires dans un contexte de vie quotidienne en communauté. Aucun talent spécifique n’est nécessaire, contrairement aux télé-crochets. Or, la femme noire ordinaire est rarement médiatisée. Pour Virginie Sassoun, docteure en sciences de l’information-communication et auteure de « Femmes noires sur papier glacé », on représente toujours cette dernière selon deux extrêmes. “On oscille généralement entre un pôle négatif (victime), et de manière plus rare, un pôle positif, incarné dans des figures d’hyper réussite (ministre, sportive de haut niveau, chanteuse, etc). Au final, il reste peu de place pour une présence normale”. Il semble plus facile de vendre à un public une image de super-héroïne noire de Black Panther que celle d’une femme anonyme. Mais l’objectif de ces émissions est justement de créer un personnage qui fidélise le public, le forçant à suivre sa favorite d’émission en émission. C’est par cet incubateur de starlettes que sont passées Nabilla Benattia, Ayem Nour ou Amélie Neten, devenues des icônes d’un genre télévisuel pourtant inconnues à leur arrivée dans le programme. Pourquoi aurait-on du mal à transformer une candidate noire lambda en star de la télé-réalité ? Pour Virginie Sassoun, cela s’explique en deux temps. D’une part, “les discriminations à l’encontre des femmes noires dans l’industrie du divertissement et de la mode se justifient souvent sur la base d’arguments économiques comme « Les noires ne vendent pas » car la « majorité blanche » qui compose le public ne pourrait pas s’identifier à elles.” Elle souligne aussi qu’il y a en France un “rejet de tout ce qui pourrait s’apparenter au communautarisme – ce qui – place les stratégies de marketing ethnique au coeur d’une série de paradoxes contraignants.”
Un exotisme pas assez vendeur pour la TV ?
Dans une enquête de Rue89 parue en 2010. La journaliste Céline Vigouroux y avait retranscrit quelques mots d’un producteur qui lui avait avoué en catimini : « Un jour la directrice de casting de la Star Academy m’a demandé : “trouve moi un noir, mais un beau noir”. Preuve que l’homme noir lui, est bien un profil qui intéresse beaucoup les spécialistes du marketing qui oeuvrent dans l’ombre des émissions.
Cette exo-érotisation de l’homme noir n’est pas nouvelle et existe aussi pour les femmes, mais pas au point de pousser les directeurs de castings de télé-réalité à chercher une « belle » noire. “Si l’on pense aux tendances stéréotypées associées aux femmes noires (sauvages, hypersexualisees, etc.), les tendances voyeuristes des Français seraient alors totalement compatibles avec la présence de femmes noires à la télévision”, nous explique Racky Ka, chercheuse en psychosociologie et spécialiste des questions des stéréotypes et de leur influence néfaste sur la société. Un argument de plus qui rend incompréhensible l’absence de candidates noires dans ces dérivés de Loft Story.
Mais alors, la faute à qui ? Pour Virginie Sassoun, “La responsabilité est collective, elle engage toute la chaîne décisionnelle : producteurs, responsables éditoriaux, annonceurs et propriétaires des médias. Néanmoins, la pression hiérarchique sur le plan économique est réelle et elle pousse à limiter les prises de risques.”
C’est donc parce que les décideurs craignent de sortir de leur zone de confort et de mal faire, que résulte le nombre réduit de participantes noires à ces émissions. La chaîne NRJ12 fait un premier pas en 2019 en engageant Sephora comme candidate anonyme dans son émission phare Les Anges.
Une visibilité à conquérir collectivement
Cette absence participe à l’invisibilisation des femmes noires dans les médias en général comme l’a dénoncé le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel dans un rapport publié en janvier 2019. Il atteste que “les personnes perçues comme « blanches » restent largement majoritaires à la télévision – puisque – elles représentent 83 % des personnes indexées”. Alors que de nombreux mouvements féministes tentent de prendre la Une pour que plus de femmes soient visibles et entendues dans les médias, il semble qu’une solidarité doit se mettre en place pour que les femmes noires profitent de cette impulsion. “Si les femmes sont confrontées à un plafond de verre, pour les femmes noires c’est du béton ! D’où l’intérêt d’une réflexion autour du féminisme intersectionnel, qui prend en compte toutes les dimensions des discriminations” insiste Virginie Sassoun. Avoir plus de femmes noires dans tous les types d’émission ne passera donc que par une lutte collective pour que toutes les oubliées de la télé – les personnes racisées mais aussi les plus âgées et celles vivant avec un handicap – puissent enfin voir leur réalité représentée à l’écran.